C'est bien sous l'assaut des images les plus disparates, sous leur
collision flamboyante comme leur énumération hypnotique, que le
nihilisme contemporain est le plus à son aise, acceptant dans son
relativisme absolu de faire allégeance à tout ce qui bat en brèche
hiérarchies et structures, jouissant de la prolifération des signes irreliés.
En réaction, les nouveaux discours idéologiques reposent sur la
méfiance envers le culte des images sans lien, culte qui ne sert au
bout du compte que la consommation de masse, et s'interdisent de
penser le cinéma autrement qu'en se servant des films selon leur
premier degré de lecture - à savoir leur scénario -, se passant donc
aisément, pour appuyer leurs démonstrations, de leur vision réelle.
Il s'agit là des conséquences apparemment opposées d'une
même «esthétique de fascination», pour reprendre l'expression de
Raymond Abellio, qui engendre autant l'envoûtement enthousiaste
que l'iconoclasme puritain, puisqu'elle sert une conception de l'art
cinématographique dualiste, basée sur l'illusion d'un sujet extérieur
à l'objet filmique (et donc autant amené à s'y soumettre qu'à le juger)
quand il nous paraît au contraire important d'envisager la perception
d'un film (à l'instar de celle du monde), comme le lieu d'une
interdépendance où les images nous secondent dans leur progressif
dépassement. À l'image du caméléopard inventé par Poe, que
Charles Hirsch dans le Cahier de l'Herne consacré à Abellio identifie
comme «un être dont les mouvances de formes et de couleurs
s'enlèvent toujours, en dépit de leur apparente incohérence, sur la
même et unique trame : la diversité du caméléon se fondant dans
l'unité du léopard», sachant que celui-ci est doté d'une tête
d'homme, ce qui suppose «une conscience propre à saisir l'unité de
structure sous la multiplicité des formes».
Identifier la trame sous les motifs sans pour autant négliger ces
derniers, voilà l'ambition de ce deuxième volet du Bréviaire de cinéphilie
dissidente, qui s'emploie à célébrer l'antimodernité de Léos
Carax ou la quête identitaire de Robert Guédiguian, dénoncer le
conformisme de Klotz ou celui de Des Pallières, relier un plan du
Plaisir d'Ophuls à son écho chez Antonioni, le Diable rencontré
chez John Carpenter au Magicien du pays d'Oz, Calme Blanc à
Titanic, c'est-à-dire refuser les films du vertige et du regard capté de
force, au profit d'un cinéma de participation où le temps est enfin
rendu, cinéma qui nous comprend puisque nous l'habitons.
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