Entre l'histoire des éditions de Minuit d'Anne Simonin et l'histoire de l'édition
française sous l'Occupation de Pascal Fouché, cette histoire globale de
l'édition pendant la guerre d'Algérie vient combler un vide laissé par une
communauté scientifique jusqu'alors soucieuse d'étudier l'action des seuls opposants
(médiatiquement visibles) à la torture. À partir d'un corpus de près de 1 000 livres
et brochures publiés pendant la guerre d'Algérie - guerre de l'écrit comme l'avait
été l'affaire Dreyfus - ce travail issu d'une thèse de doctorat rend compte du
traitement éditorial riche et complexe d'un des derniers traumatismes de l'histoire
nationale. En prenant en compte les diverses formes (brochure, monographie, tract)
et les différents acteurs (administrations, armée, militants, professionnels de
l'édition) producteurs d'imprimés, il offre une contribution actualisée à l'histoire de
l'édition politique, généraliste, universitaire ou scolaire.
Découpé selon un plan qui reflète le rythme de la production, le développement de
l'ouvrage rend compte des reconfigurations opérées, au cours de chaque période, au
sein du champ éditorial. Des mobilisations intellectuelles de l'automne 1955 et de
la publication de L'Algérie hors la loi des époux Jeanson aux dénonciations de la
torture du printemps 1957, dans lesquelles les comités de citoyens jouèrent un rôle
important, une première radicalisation s'observe. La relative réussite des
anticolonialistes à invalider le discours d'État sur les «opérations de maintien de
l'ordre» incite les éditeurs dominant le champ littéraire à traiter de l'histoire
immédiate. Sur fond d'émergence politique et culturelle du Tiers-monde, le rythme
de production s'accélère. Les positions se radicalisent à nouveau. La crise de régime
de mai-juin 1958 fournit une occasion de traiter de la guerre, sans nécessairement
faire preuve d'ouverture politique. Une édition nationaliste s'efforce de contrer les
anticolonialistes, tandis que l'édition littéraire réactive les idéaux-types de
l'orientalisme. Au début des années 1960, les Prétoriens de Jean Lartéguy peinent à
couvrir le vacarme des Damnés de la terre de Frantz Fanon.
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