Admettons qu'il soit possible d'étouffer la liberté des hommes et
de leur imposer le joug, à ce point qu'ils n'osent pas même murmurer
quelques paroles sans l'approbation du souverain, jamais, à coup sûr,
on n'empêchera qu'ils ne pensent selon leur libre volonté. Que
suivra-t-il donc de là ? C'est que les hommes penseront d'une façon,
parleront d'une autre, que par conséquent la bonne foi, vertu si
nécessaire à l'État, se corrompra, que l'adulation, si détestable,
et la perfidie seront en honneur, entraînant avec elles la décadence de
toutes les bonnes et saines habitudes... Quoi de plus funeste pour un
État que d'exiler comme des méchants d'honnêtes citoyens, parce
qu'ils n'ont pas les opinions de la foule et qu'ils ignorent l'art de
feindre ! Quoi de plus fatal que de traiter en ennemi et d'envoyer à la
mort des hommes qui n'ont commis d'autre crime que celui de penser
avec indépendance ! Voilà donc l'échafaud, épouvante des méchants,
qui devient le glorieux théâtre où la tolérance et la vertu brillent dans
tout leur éclat et couvrent publiquement d'opprobre la majesté
souveraine. À coup sûr, on ne saurait apprendre à ce spectacle qu'une
seule chose, c'est à imiter ces nobles martyrs, ou, si l'on craint la mort,
à se faire le lâche flatteur du pouvoir. Rien n'est donc si périlleux que
de rapporter et de soumettre au droit divin des choses de pure
spéculation et d'imposer des lois aux opinions qui sont ou peuvent
être un sujet de discussion parmi les hommes. Que si le droit de l'État
se bornait à réprimer les actes en laissant l'impunité aux paroles,
les controverses ne tourneraient pas si souvent en séditions.
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