
Rentré de Munich en octobre 1912, Marcel Duchamp «abandonne»
la peinture et bientôt «invente» son premier readymade : deux
faces d'un même acte qui, aujourd'hui, s'offrent ensemble à la réinterprétation.
Le readymade est d'extraction picturale, il appartient à l'histoire de
la peinture, mais sur le mode de l'abandon. Il lui appartient d'autant
plus que ce mode est aussi celui des peintres, en 1912 plus que jamais,
au moment où Kandinsky, Kupka et Delaunay s'apprêtent à abandonner
la figuration pour la peinture pure et posent la question
moderniste de l'être pictural comme langage. Le readymade s'inscrit
dans cette histoire mais non dans cette question. Il révèle que l'enjeu
de la tradition que Duchamp abandonne pour nommer art un objet
quelconque aura été le nom de la peinture, le pacte incertain qui lie
l'artiste et son public autour d'un jugement : ceci est un tableau, cela
n'en est pas un.
Dégager la résonance stratégique de cet abandon, que Duchamp
lui-même appela «une sorte de nominalisme pictural», demandait à
son tour d'abandonner l'horizon moderniste du questionnement
esthétique. Pour comprendre ce que signifie «ne plus peindre», il est
peut-être moins nécessaire de savoir ce que veut dire «peindre» que
de saisir ce qu'implique «avoir peint». C'est pourquoi l'épisode
munichois de Duchamp, et singulièrement le Passage de la vierge à la
mariée, sont ici interrogés. C'est pourquoi aussi, l'histoire se confondant
pour un instant avec l'autobiographie qui perce de l'oeuvre d'un
homme, la psychanalyse est convoquée. Elle l'est surtout pour la place
qu'elle occupe de fait, parallèle à l'art, dans l'épistémè moderne, mais
aussi comme pratique du Witz révélateur, à prendre, à notre heure,
avec un grain de sel tout duchampien.
Thierry de Duve.
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