Rarement témoignage d'un Déporté rescapé des camps nazis aura fait
à ce point confiance au lecteur : Pierre Saint Macary évite ce qu'il suppose connu, ne montre nulle complaisance à l'horrible, n'adopte pas
une posture héroïque. Il entend rendre compte d'une entreprise de
déshumanisation à travers le prisme d'une conscience aiguë. Il livre un
récit maîtrise, mais en brèves séquences fragmentées, assurant qu'il y
a si peu dont il se souvienne - très au fait de la critique usuelle du
témoignage, a fortiori si tardif.
Mais les métaphores qui disent la puissance de l'oubli trahissent une démarche plus inquiète : bouclier, muraille, banquise à percer, vers les lointains glacés, geste de l'Inuit, ou, en eaux plus opaques, par les
hublots d'un bathyscaphe. Le sang-froid est celui de la distance à soi :
non pas orgueil mais humilité tyrannique, ce trait manifeste de personnalité
exclut l'imprécis et l'euphémisme. Le « petit périmètre » tracé est exploré au scalpel, et la noyau des plus proches compagnons saisi au
plus près de sa véracité, affects inclus.
Loin de puiser profond pour amonceler de la matière, Pierre Saint
Macary décante, filtre, réduit, cristallise ; ces courts textes sont des précipités, chaque phrase un éclat, le mot un récit, un rescapé. Écrire n'est pas raconter, moins encore se répandre. Livre émacié, livre de raison
d'un homme libre qui a survécu, et qui dit comment.
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