Le chant d'amour d'un illuminé
Romain pleurait sur un amour perdu tout en raturant les mots qu'il venait d'écrire ; sa tristesse plongeait ses racines jusque dans ses plus lointains souvenirs, tandis que le mistral s'acharnant à coups de bélier sur les tuiles anciennes de la vieille bastide, rythmait ses frappes nerveuses sur les pages des Forteresses Invisibles. C'était à travers elles qu'il recherchait les traces de son âme égarée dans les plis du temps ou son innocence perdue au fil des vents sans trouver répit à sa douloureuse quête intérieure. Il pleurait un amour dans le coma depuis longtemps déjà, un amour qui n'avait survécu que par le goutte à goutte que son coeur lui avait injecté jour après jour. Que faisait-il là à recorriger et finalement à détruire ce qu'il avait écrit cette nuit avec tant de soin ? Dans son âme tourmentée, il déplorait sa dureté, sa sottise, celles des hommes qui ne se comprenaient pas, se jetant tête contre tête et contre les barbelés absurdes de leur mensonge. Rien ne pouvait combler le vide qui grignotait son énergie. Rien ne pouvait apaiser son désarroi devant la vacuité de l'existence qui exigeait malgré tout qu'on la vécût avec décence, dans la crise, le mépris, le déni ou la joie rare selon l'humeur des lunes et des soleils traversés.
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