La dialectique hégélienne, en tant que négation de la négation, est souvent
interprétée comme irrémédiablement téléologique, comme une
froide mécanique qui rejette hors du sens toute contingence. Mérite-t-elle
pour cela d'être abandonnée ? Si la dialectique est bien ce qui meut tout
donné, montrant qu'il ne peut résider en repos en lui-même, abandonner
la dialectique revient à se résigner à la factualité et à renoncer à la promesse
d'émancipation, de dépassement de ce monde donné, dont la
pensée hégélienne est porteuse. Il faudrait alors penser la dialectique
sans la téléologie. Mais l'effort de Hegel n'est-il pas déjà de libérer autant
qu'il est possible la dialectique de toute téléologie ? De fait, si l'on
se tourne vers deux auteurs qui ont critiqué et profondément réformé la
dialectique hégélienne - Giovanni Gentile et Theodor Adorno - on se
rend compte à l'examen de leur tentative que leur volonté de sauver la
totalié de la contingence et leur refus conjoint de toute perspective téléologique
conduit la dialectique à, en quelque sorte, s'écrouler sur elle-même.
Ces deux formes «d'auto-destruction» de la dialectique
montrent ainsi par l'absurde que la téléologie minimale conservée par
Hegel n'a pour fonction que de préserver la dialectique. On peut alors
interpréter la dialectique plutôt comme principe de détermination que
comme moteur d'une téléologie prise en son sens plein ; c'est peut-être
ce que nous suggère la référence à Aristote par laquelle Hegel choisit
de clore son Encyclopédie des Sciences philosophiques. La dialectique
hégélienne reposerait ainsi sur une téléologie minimale au-delà de laquelle
on ne peut aller sans renoncer à la dialectique elle-même.
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