De Thalès, l'histoire de la philosophie a retenu l'image du sage
 distrait, qui absorbé par l'étude des astres, trébuche. Une jeune
 fille rit aux éclats. Elle rappelle au sage le précepte delphique :
 «Regardez dans vous, reconnaissez-vous, tenez-vous à vous».
Pour Montaigne, ce précepte est un garde-fou. A l'inquiétude
 existentielle, au trouble que suscite un univers infini et hostile,
 répond la curiosité, mais cette curiosité engendre de nouvelles
 interrogations. Il lui faudra donc ébaucher une stratégie pour
 échapper à cet engrenage, pour naviguer entre l'inquiétude que
 produit l'ignorance et le «mal naturel» qu'est la curiosité. Dans
 ses OEuvres Morales, si appréciées de Montaigne, Plutarque
 conseille à celui qui veut éviter une curiosité malséante et
 impropre, de se pencher sur l'histoire, d'étudier le monde, de se
 retourner sur soi et d'augmenter sa concentration par des exercices
 spirituels.
C'est bien cette méthode que Montaigne a adoptée et adaptée.
 Aussi les Essais constituent-ils, en tant que tentative de
 dépasser la distinction entre la bonne et la mauvaise curiosité,
 entre la volonté de savoir et la vanité, une étape constitutive de
 la Modernité. Orienter le regard du curieux, aiguillonner la curiosité
 naturelle devenue nécessité existentielle, éviter les écueils
 d'une curiosité malsaine et malveillante qui se passionne pour
 des monstres, penser sa propre curiosité : voilà le travail de
 Sisyphe auquel est condamné Michel de Montaigne.
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