
Sans pouvoir résumer ici la richesse des analyses proposées par le père
Molinier, retenons-en l'idée directrice, ou plutôt la certitude qui s'en dégage.
Elle mérite toute notre attention, car elle va à l'encontre d'une représentation
très répandue de la vie monastique. On a souvent confondu, en effet, la fuga
mundi du moine avec un contemptus mundi, un mépris du monde. Dans cette
perspective, l'ascèse serait la conséquence d'un rejet de la condition humaine
ordinaire : le moine se situerait lui-même au-dessus et à part des autres hommes,
en quête d'une sainteté personnelle qui ferait de lui un maître dans le domaine
des réalités spirituelles.
L'auteur montre, textes à l'appui, que cette vision est fausse. Le monachisme
chrétien ne s'est jamais reconnu dans une conception élitiste, de type messalien,
privilégiant l'extase ou d'autres états exceptionnels. En s'enfonçant dans le
désert ou en rejoignant un monastère, le moine n'est animé ni par le mépris
du monde, ni par le désir d'expériences transcendantes. Il tente seulement de
répondre à une inquiétude intérieure forte, qui le rend conscient de sa propre
faiblesse et de sa pauvreté. Il sait que c'est ainsi que, personnellement, il sera
sauvé. Il ne se soustrait pas aux misères communes, mais il les assume, à la
place qui est la sienne, en les centrant résolument sur le type de vie auquel
il a été appelé. Il ne cherche pas à se singulariser, mais à accepter son chemin
d'humanité. Sur ce chemin singulier, il est « uni à tous » et surtout à ceux qui,
comme lui, font l'expérience de leurs limites.
Car du sein même de son enfermement - dans un tombeau, un habit, un lieu
définitif, ou dans le « non-lieu » du désert ou de l'exil -, le moine découvre
aussi la possibilité d'une liberté intérieure, d'une plus grande simplicité, d'une
communion universelle. Il n'a pas besoin de communiquer avec beaucoup de
ses semblables pour les connaître en se reconnaissant en eux. Sa solitude est le
lieu paradoxal où il rejoint chacun, visiblement ou invisiblement. Il ne fuit pas
le drame de l'existence ordinaire : il y descend, suspendu au fil de la prière. S'il
s'enfonce dans la solitude, ce n'est pas en se séparant radicalement des hommes,
mais en les retrouvant par d'autres chemins. Creusant le puits de sa vocation
propre, il atteint les eaux d'un lac souterrain, d'un amour sans frontières.
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