Bien avant le cinéma, la presse à scandale et la télévision, les mécanismes de la
célébrité se sont développés dans l'Europe des Lumières, puis épanouis à l'époque
romantique sur les deux rives de l'Atlantique. Des écrivains comme Voltaire, des
comédiens comme Garrick, des musiciens comme Liszt furent de véritables
célébrités, suscitant la curiosité et l'attachement passionné de leurs «fans». À Paris
comme à Londres, puis à Berlin et New York, l'essor de la presse, les nouvelles
techniques publicitaires et la commercialisation des loisirs entraînèrent une profonde
transformation de la visibilité des personnes célèbres. On pouvait désormais
acheter le portrait de chanteurs d'opéra et la biographie de courtisanes, dont les
vies privées devenaient un spectacle public. La politique ne resta pas à l'écart
de ce bouleversement culturel : Marie-Antoinette comme George Washington ou
Napoléon furent les témoins d'un monde politique transformé par les nouvelles
exigences de la célébrité. Lorsque le peuple surgit sur la scène révolutionnaire, il
ne suffit plus d'être légitime, il importe désormais d'être populaire.
À travers cette histoire de la célébrité, Antoine Lilti retrace les profondes mutations
de la société des Lumières et révèle les ambivalences de l'espace public.
La trajectoire de Jean-Jacques Rousseau en témoigne de façon exemplaire. Écrivain
célèbre et adulé, celui-ci finit pourtant par maudire les effets de sa «funeste
célébrité», miné par le sentiment d'être devenu une figure publique que chacun
pouvait façonner à sa guise. À la fois désirée et dénoncée, la célébrité apparaît
comme la forme moderne du prestige personnel, adaptée aux sociétés démocratiques
et médiatiques, comme la gloire était celle des sociétés aristocratiques. C'est
pourtant une grandeur toujours contestée, dont l'histoire éclaire les contradictions
de notre modernité.
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