Gros-Yeux a quatorze ans lorsqu'il arrive avec
sa mère dans l'immense décharge à ciel ouvert
de Séoul. Là vivent pas moins de deux mille foyers,
dans des cahutes accrochées au flanc de la montagne
d'ordures, en une société fortement hiérarchisée dont
le moindre aspect - travail, vêtements, nourriture,
logement - provient des rebuts du monde extérieur.
Gros-Yeux se lie d'amitié avec un garçon disgracié, un
peu simple d'esprit, qui lui fait découvrir les anciens
habitants du site, ou plutôt leurs esprits bienveillants,
lorsque l'île de la décharge était encore une terre vouée
aux cultures agricoles et aux cultes chamaniques. Car
ce sont les êtres démunis, abandonnés des hommes,
enfants, marginaux, infirmes, qui entretiennent la
mémoire de ce qui n'est plus, l'étincelle du vivant là
où tout se périme et se corrompt. Ils communiquent
avec l'invisible, un monde où tout respire et vit
ensemble.
Hwang Sok-yong ne donne pas de leçons, non, il donne
à voir. Des images se lèvent et ne nous quittent plus. A
l'opposé d'une logique marchande où les choses sont
destinées à une rapide destruction, ces images nées du
pouvoir des mots ne s'altèrent pas, continuent à briller
dans notre imaginaire.
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