Un poète intervient sur un marché pour vendre des pièces d'un euro au prix d'un euro dix, un candidat aux présidentielles remporte un débat télévisé en improvisant une fatrasie ; une modèle photo transcrit et archive les consignes de poses érotiques que lui adressent ses photographes ; une artiste compile pendant des années les récits de rêves des membres de sa famille pour en cartographier l'évolution. Ces pratiques appartiennent aux formes d'expression que je nomme ici « sociographies » : elles impliquent, dans leur production même, un public spécifique, explorent des habitudes sociales et des mécanismes institutionnels méconnus. Pour cela, elles mobilisent toujours, peu ou prou, de l'écriture, sans jamais s'inscrire simplement parmi les catégories littéraires courantes ni les formats de la science académique. Les sociographies se développent sur des zones frontalières : entre les écritures expérimentales et l'action politique « directe », les arts reconnaissables comme tels et les activités d'amateurs plus ou moins privées. Du fait de leur relative marginalité dans l'espace littéraire traditionnel, leur histoire a été négligée. Cette étude en reconstruit quelques linéaments en retrouvant, même chez des auteurs et autrices canoniques comme Dante Alighieri, Victor Hugo, Léon Tolstoï, Marguerite Duras, des dispositifs d'écriture typiquement, sociographiques. Moyens d'action autant que formes de représentation inédites, ces dispositifs transforment la nature des relations propres aux acteurs sociaux qu'ils impliquent. L'acte de création s'y comprend comme une intervention dans l'écosystème des écritures pratiques instituées (médiatiques, administratives, scientifiques, ésotériques) afin de rendre plus soutenables les rapports sociaux que celles-ci déterminent.
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