Le capitaine Michel n'avait plus qu'un bras, qui lui servait à fumer sa pipe. C'était un vieux loup de mer dont j'avais fait la connaissance en même temps que celle de quatre autres loups de mer, un soir, à l'apéritif, sur la terrasse d'un café de la Vieille Darse, à Toulon. Et nous avions ainsi pris l'habitude de nous réunir autour des soucoupes, à deux pas de l'eau clapotante et des petites barques dansantes, à l'heure où le soleil descend du côté de Tamaris.
Les quatre vieux loups de mer s'appelaient Zinzin, Dorat (le capitaine Dorat), Bagatelle et Chanlieu (ce bougre de Chanlieu). Ils avaient naturellement navigué sur toutes les mers, avaient connu mille aventures ; et, maintenant qu'ils étaient à la retraite, passaient leur temps à se raconter des histoires épouvantables !
Seul le capitaine Michel ne racontait jamais rien. Et comme il ne paraissait nullement étonné de ce qu'il entendait, cette attitude finit par exaspérer les autres qui lui dirent :
« Ah ! ça ! capitaine Michel, il ne vous est donc jamais arrivé d'histoires épouvantables !
-Si, répondit le capitaine, en ôtant sa pipe de sa bouche, si, il m'en est arrivé une... une seule !
-Eh bien ! racontez-la.
-Non !
-Pourquoi ?
-Parce qu'elle est trop épouvantable. Vous ne pourriez pas l'entendre. J'ai essayé plusieurs fois de la raconter, mais tout le monde s'en allait avant la fin. »
Les quatre autres vieux loups de mer s'esclaffèrent à qui mieux mieux et déclarèrent que le capitaine Michel cherchait un prétexte pour ne rien leur raconter parce qu'au fond il ne lui était rien arrivé du tout !
L'autre les regarda un instant, puis, se décidant tout à coup, posa sa pipe sur la table. Ce geste rare était déjà, par lui-même, effrayant.
« Messieurs, commença-t-il, je vais vous raconter comment j'ai perdu mon bras. »
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