Si on les compare à celles qui les ont précédées - les bibliothèques médiévales -
ou à celles qui les ont suivies - les bibliothèques du XIXe siècle -, les bibliothèques
de l'époque moderne expriment une spécificité manifeste. Quant aux objets qu'elles
acquièrent et conservent, les bibliothèques de l'Ancien Régime sont bien sûr celles qui
voient l'imprimé supplanter le manuscrit. Si les livres, et parmi ceux-ci les imprimés,
dominent, ils sont aussi des espaces d'accueil d'une variété exceptionnelle d'objets,
formant parfois un cabinet. La personnalité des bibliothèques d'Ancien Régime se
marque aussi à travers leur fonctionnement. C'est à partir du XVIIe siècle que la fonction
de bibliothécaire devient de plus en plus un métier, mettant en oeuvre quelque chose qui
s'apparente à un savoir professionnel de plus en plus explicite et conscient de lui-même.
C'est aussi à la même époque - et toutes ces choses se correspondent bien évidemment -
qu'émerge, venu d'Italie et d'Espagne, le nouveau modèle architectural des bibliothèques
qui, avec ses vastes galeries, ses larges ouvertures et ses rayonnages muraux, persistera
jusqu'à la Révolution.
Cependant, par delà les objets conservés, le mode de fonctionnement ou la nature des
bâtiments, c'est surtout par leur statut et leur destination que les bibliothèques de la période
moderne expriment leur particularité. En effet, alors que les principales bibliothèques
médiévales étaient d'abord des bibliothèques ecclésiastiques (d'abbayes, de couvents ou
de collèges...) et dans une moindre mesure celles de puissants personnages, alors que les
grandes bibliothèques du XIXe siècle seront en premier lieu des bibliothèques relevant de la
puissance publique, celles de l'Ancien Régime sont avant tout des collections privées. Si
les bibliothèques ecclésiastiques occupent encore une place non négligeable, notamment
en tant qu'instruments d'accompagnement de la reconquête catholique, les bibliothèques
privées prennent une importance qu'elles n'ont jamais eue et qu'elles ne retrouveront
plus. L'intérêt parfois passionné qu'y mettent leurs propriétaires, les moyens financiers
qu'ils y consacrent, l'audace, l'inventivité et le jugement dont ils font souvent preuve
constituent autant de facteurs qui placent les grandes collections privées au premier
rang. L'immersion de ces collections dans la société civile est d'autant plus forte que les
principales bibliothèques privées (et nombre de grandes bibliothèques ecclésiastiques)
s'ouvrent de plus en plus non seulement aux savants ou à des personnes «recommandées»
mais à un large public : l'infléchissement vers la bibliothèque publique, que l'on pressent
déjà chez Jacques-Auguste Ier de Thou et Richelieu, prend véritablement corps en 1643
chez Mazarin, s'affirme à partir de 1650 puis se répand sur l'ensemble du territoire tout
au long du XVIIIe siècle.
Claude Jolly
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