
J'entends par «paperasse» l'ensemble des documents produits
en réponse à une demande, réelle ou imaginaire,
émanant de l'État. Dans sa plus simple expression, mon
argument est que la paperasse est imprévisible, et que cette
imprévisibilité est source de frustration : frustration pour
ceux d'entre nous qui consacrent une partie de leur travail
à rédiger des notes et à remplir des formulaires ; frustration
pour ceux d'entre nous qui sont dans l'attente du tampon
ou de la signature qui leur permettra de reprendre le cours
normal de leur vie ; et, surtout, frustration de l'intellect, y
compris de l'intellect des intellectuels.
En effet, la pensée politique moderne a été façonnée
autant que déconcertée par ses confrontations avec
la paperasse. Au lieu d'une théorie critique des «intermédiaires
bureaucratiques», nous avons un mythe, ou plutôt
un ensemble de mythes, autour de la bureaucratie et des
bureaucrates. Tous ces mythes se révèlent étrangement
consistants, au sens où il est étrange de constater à quel
point ils sont consistants, mais aussi que cette consistance
elle-même est étrange : facile à saisir, mais difficile à cerner.
Si, comme le veut un vieil adage, le mythe a pour fonction
de procurer une solution imaginaire ou imaginative
à une contradiction réelle, les mythes de la bureaucratie
visent à surmonter non seulement les contradictions de la
paperasse, mais celles de notre propre pensée. Il nous est
impossible de réconcilier nos théories du pouvoir de l'État
avec notre expérience de ses limites.
Ben Kafka
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