L'homme qui venait de franchir la frontière, ce 23 juillet 1873,
était un homme mort et la police n'en savait rien. Mort aux
menaces, aux chantages, aux manigances. Un homme mort
qui allait faire l'amour avant huit jours.
En exil en Suisse, Gustave Courbet s'est adonné aux plus
grands plaisirs de sa vie : il a peint, il a fait la noce, il s'est baigné
dans les rivières et dans les lacs. On s'émerveille de la liberté
de ce corps dont le sillage dénoue les ruelles du bourg, de ce
gros ventre qui ouvre lentement les eaux, les vallons, les bois.
Quand il peignait, Courbet plongeait son visage dans la nature,
les yeux, les lèvres, le nez, les deux mains, au risque de s'égarer,
au risque surtout d'être ébloui, soulevé, délivré de lui-même.
De quel secret rayonnent les années à La Tour-de-Peilz, sur le
bord du Léman, ces quatre années que les spécialistes expédient
d'ordinaire en deux phrases sévères : Courbet ne peint
plus rien de bon et se tue à force de boire ?
Ce secret, éprouvé au feu de la Commune de Paris, c'est la joie
contagieuse de l'homme qui se gouverne lui-même.
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