Après cinq voyages à pied à travers le Japon qui lui ont inspiré autant de journaux poétiques, Bashô s'est arrêté. Il revient justement de son périple dans les provinces septentrionales. Pendant quelques mois, un disciple a mis à sa disposition l'Ermitage-d'Illusion qui surplombe le vaste lac Biwa. Puis, au début de l'été 1691, le maître de haikai s'installe pour dix-sept jours dans la Villa-où-Tombent-les-Kakis, non loin de Kyôto, à Saga, charmante bourgade, pleine de réminiscences littéraires. Au milieu de son verger de plaqueminiers, la chaumine est assez vermoulue avec des vestiges d'élégance - ce qui lui donne un charme pathétique - mais un citronnier la remplit de son parfum... C'est un temps de travail nourri de convivialité.
Tout en tenant le journal de son séjour, le maître de haikai peaufine ses Notes de l'Ermitage-d'Illusion, médite la relation de sa pérégrination dans le Nord-Est qui donnera L'Étroit Chemin du fond, et, avec les disciples qui le visitent ou lui écrivent, met au point le grand recueil de son école, Le Manteau de pluie du singe. Avec le Journal de Saga, nous entrons donc dans l'atelier du poète et de ses élèves, nous voyons s'esquisser une oeuvre, une suite poétique à plusieurs.
En même temps, apparaît, par touches, par notations, Saga avec ses environs, une vie paisible entre temples et champs. Du lointain passé, remonte l'évocation de la dame Kogô qui s'était réfugiée dans une maisonnette au milieu des bambous où elle jouait de la cithare sous la lune... Les jours et les nuits se suivent, rythmés par les averses, les visites, l'insomnie... La villa se remplit d'ombres et d'échos entre les siècles, les personnes, les poèmes japonais et chinois : tout se répond et se répercute. Tant de choses aussi se déploient dans les silences du texte, dans ses interstices blancs. C'est la magie de ce journal où le poète ne se déplace pas autrement qu'à travers les souvenirs, les allusions.
Et puis voilà que le réveille en sanglots le rêve à un ami très cher, disparu l'année précédente. Et c'est là un ultime écho, infini, entre l'au-delà et l'ici-bas. Mais déjà, il faut partir. Le coeur serré, Bashô parcourt des yeux la villa, une dernière fois : la poésie survivra-t-elle au temps qui emporte tout ?...
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